Trente-cinq ans déjà après ses débuts marqués par le suicide de Ian Curtis (l’ère Joy Division avec), et plus récemment par le départ houleux de son légendaire bassiste Peter Hook en 2006, New Order revient, contre toute attente, dans une belle forme.
Le combo renouvelé par l’introduction de Tom Chapman à la basse, toujours emmené par l’éternelle voix juvénile de Bernard Sumner, et rabiboché du retour avantageux de Gillian Gilbert au clavier (absente pour problème de santé depuis le sous-estimé « Get Ready » de 2001), sort enfin un nouvel album. Le neuvième au titre alléchant « Music Complete » est sorti le 25 septembre 2015 sur le label Mute Records, maison mère du groupe Depeche Mode. En confiant la production à Daniel Miller, Boss du label concurrent direct des années cultes avec Factory, New Order perdure son histoire de la musique de façon surréaliste. D’autant plus que le résultat, concrètement enjoué, est à la hauteur de la symbolique.
Pourtant rien n’était gagné à la découverte du trop évident single pop« Restless », annonciateur du retour, paru pâlement en juillet dernier. La maturité d’écoute l’impose pourtant aujourd’hui en ouverture mélodieuse d’une œuvre qui respire les codes new orderesque jusqu’auboutisme. Avec son introduction Cold Wave ancestral et trame pop sophistiquée, le suivant « Singularity » est efficace à souhait. Le titre coécrit et produit par Tom Rowlands, moitié des Chemical Brothers, renoue avec la foi de ses plus gros classiques où se mêlent New Wave, pop, mélodie poignante et sonorités discos électroniques sautillantes. « Plastic » emmène la formule encore plus loin par une boucle et des vocaux discos rappelant Giorgio Moroder et Gus Gus, sous un traitement Techno haut de gamme, comme le fut l’album Technique (1989) en son temps. New Order qui n’a jamais caché son admiration pour Kraftwerk, signe là son tube le plus puissamment sophistiqué de l’album, sans rien perdre de son identité.
« Tutti frutti » à l’instar de son titre, est le point culminant du plaisir rafraîchissant que procure l’addiction d’écoute. Véritable remède contre la morosité, la chanson habitée de mélodies reines sentimentales, invite à la danse et aux manifestations positives. Divinement produite, la musicalité pure british virevolte avec l’Italo Disco tandis que la rythmique se fait heureuse et les arrangements Future Pop servent un refrain bénéfique, qu’entonne avec brio La Roux. Future hit et déjà classique, « Tutti frutti » est la chanson magique de l’année.
« People On The Hight Light » lui renoue avec le pure son mandchesterien du début des années 90. Le piano du Screamadelica des primal Scream et le groove d’un Happy Mondays se marient au service du revival par l’influence de ceux sans qui le mouvement d’anthologie aurait existé. Fruit de sa collaboration avec l’iguane Iggy Pop, « Stray Dog », emmène NO sur une route cinématographique inédite, où le timbre d’Iggy se pose subtilement comme un narrateur mutant façon Death In Vegas vs Lost Highway. Encore une fois, la trame musicale est travaillée sans hasard, brillamment. Le bien nommé « Academic », envoie un riff Rock poignant, ampli de justesse, façon Britpop des débuts d’ Oasis. Repris par des pères fringants, comme ils l’avaient déjà fait sur « get Ready » n’a rien de caricatural. « Nothing But A Fool » ou la ballade romantico psychédélique par excellence, en symbiose avec des sensations de pop culture, pourrait bien connaître une seconde vie dans la bande originale du futur Trainspotting #2. « Unlearn This Hatred » à nouveau produit par Tom Rowland ne déroge pas à la règle avec ses arrangements racés, rythme effréné et trame glorieuse. Sur « The Game », au potentiel de hit single, des trouvailles électroniques agrémentent un traitement pop mélodique épique. En duo avec Brandon Flowers des Killers, la chanson « Superheated » produite par Stuart Price (aka Jacques Lu Cont des Rythmes Digitales, producteur notamment de Madonna) sonne commerciale dans son concept. Taillé pour mettre à genoux les stades essentiellement de l’autre côté de la Manche, le titre achève le disque néanmoins sans grande émotion pour le non amateur de The Killers.
Ces onze titres de force inégale, réussissent l’exploit de ne pas donner d’âge à ses protagonistes presque sexagénaires. Music Complete qui s’impose logiquement comme l’album événement de la rentrée 2015, est aussi la preuve ultime que New Order est le groupe le plus frais de sa génération. La légende en devient renversante, le témoignage audio, tout simplement touchant.
Josse Juilien