Comme anticipé sur Ça C’est Culte, les Allemands Kraftwerk précurseurs de la scène électro (au sens large et universel) ont atterri avec leur vaisseau super sonique sur le parvis du nouveau siècle de Lille, ce samedi 07 novembre 2015 exceptionnellement doux.
Armés d’une paire de lunettes 3D, les 1700 fans, majoritairement issus de la génération Temps X (l’émission de télévision des frères Bogdanoff, culte dans les années 1980) sont confortablement installés dans l’antre de la prestigieuse salle.
À travers le son et le visuel optimal qu’elle offre, ils ont pu découvrir ou redécouvrir, à 20 h et à 23 h, l’entité musicale, collectivement la plus influente dans son subconscient.
« MEINE DAMEN UND HERREN — HEUTE ABEND — DIE MENSCH-MASCHINE – KRAFTWERK » la phrase d’introduction récurrente depuis les débuts, sous le ton monocorde du vocodeur, est accompagnée de façon théâtrale par l’ouverture du rideau géant.
C’est parti, le public se prend de plein fouet le compte des nombres du titre multilingue « Numbers » quittant l’écran en 3D, comme une claque autoritaire que soutient le rythme martial.
Le son démultiplié sur plusieurs niveaux n’est pas en reste qualitativement, car ses infrabasses n’ont jamais sonné si plaisantes. De gauche à droite de la scène, derrière les pupitres, Ralf Hütter (qui à 69 ans est la voix et unique membre fondateur actif), Henning Schmitz (62 ans), Fritz Hilpert (59 ans), plus le petit dernier Falk Grieffenhagen (à 47 ans, digne remplaçant physique de Florian Schneider initiateur de l’image robotique), se portent comme un charme. Statiques, ils ne voleront pourtant pas la vedette aux robots de leur effigie lors du ballet sur le titre homonyme « The robots ».
Ainsi, le concept scénique, non dénué d’humour et d’ironie, renvoie à sa propre image le public formaté à l’instar du refrain « nous sommes des robots ».
Sur « Mini Calculateur », la version française de « Pocket Calculator », « Spacelab » qui voit le vaisseau spatial survoler la France jusqu’à Lille, ou encore « Tour de France » fusionnant la version new wave de 1983 avec la version techno de 2004. Kraftwerk démontre, sous les couleurs du drapeau français, sa fascination pour le pays où il se produit.
Toutes les thématiques visionnaires et avant-gardistes du groupe sont exploitées ainsi de la même façon dans les projections, de l’homme-machine et son imagerie totalitaire (Man Machine 1978), de la rencontre amoureuse sur ordinateur (Computer Love de 1981), de la puissance industrielle avec « Trans Europe Express » aux slogans antinucléaires de « Stop Radioactivity » chantés en japonais et en hommage aux victimes de la catastrophe de Fukushima.
La force romantique de « The Model » ou « Neon lights » qui hypnotise l’audience conquise vient rappeler combien Kraftwerk est aussi influent pour son travail de la mélodie imparable.
Le puissant et impeccablement nommé « Music Non Stop », jouissif à souhait avec ses projections de bulles de bandes dessinées (où explosent les « boing boom tschak » en adéquation avec le son) achève le concert par une performance solo impressionnante de chaque membre, quittant la scène un par un sous une ovation moins clinique.
L’exercice amène non seulement le final en apothéose mais surtout démontre que Kraftwerk joue en direct.
Le groupe qui pourtant ne modifie guère son répertoire de scène depuis 2002, a prouvé ce soir qu’en le ré-évaluant non-stop, il maintenait une modernité absolue et un statut de maître en la matière. Le moment fût suprême, le concert historique.
« Bonne nuit, gute nacht, auf wiedersehen » lancera comme à l’accoutumée Ralf Hütter, tel un immortel se projetant revenir.
Oui, on se donne rendez-vous dans 25 ans, certainement avec une version hologramme, ou même clone, déjà évoqué par son créateur.
Josse Juilien