
REPORTAGE du concert de THE PRODIGY au festival Les Paradis Artificiels au Zénith Arena de Lille le 19 avril 2015.
Alors que le sixième album The Day is my enemy de The Prodigy est tout fraîchement sorti, le mastodonte de la scène rock électronique qui se produit déjà à Lille pour le festival les Paradis Artificiels, est accueilli très chaudement par un public “d’enfer”. En effet, ce soir, ce ne sera pas vraiment de performance virtuose qu’il s’agira, mais plutôt d’une énergie punk impressionnante réactivée par ses activistes sophistiqués, ainsi que d’une synergie grandiose entre l’arsenal employé (sonore et visuel) et ses adeptes furieux.
Ce ne sont pas les signes qui trompent, des échauffourées entre patibulaires dans le hall de la salle aux bousculades dans la fosse de certains sous substance illicitement offensive, l’atmosphère est au frontal, pas au cérébral. Le bruitage d’introduction qui fait entrer le quintet (le mot prête à rire tant il sonne mal avec les Prodigy) sur des lumières stroboscopiques (anti-régénérescence neuronale) annonce la couleur comme un avertisseur à couvre-feu.
L’album s’appelle The Day Is My Enemy, il faut s’attendre à ce que le show soit visuellement sombre et violent.
“Apocalyptic night friendly” façon Nine Inch Nails, l’intercommunication des maîtres de cérémonie en plus. Car The Prodigy c’est aussi de la Dance Music !
Le concert débute sous une ovation tant auditive que physique, sur le classique “Breathe” (numéro un au Royaume-Uni en 1997), entonné parfaitement par Keith Flint (46 ans) et Maxim Reality (48 ans), très en forme vocalement. Le brouillard des fumigènes les dissimulera néanmoins souvent pendant le show, comme pour faire oublier qu’avec leur âge avancé, on est loin des prestations physiques hallucinantes des débuts.
Mais est-il utile de rappeler que The Prodigy possède déjà 25 ans de carrière à son actif ?
Que le groupe issu de la banlieue de Londres est le fruit de la culture rave anglaise “underground” autant que l’ombre du punk des Sex Pistols plane avec un certain chauvinisme sur leur attitude fougueuse et vocale ? Que le nouvel effort, que bon nombre n’ont pas encore assimilé, est nettement moins commercial que le précédent « Invaders Must Die » orienté mode dubstep de l’année 2009 ? À la vue du public hétéroclite composé de tous les styles (liste trop longue à énumérer), âges et clichés comportementaux inclus : oui !
Une jeune femme m’interpellera d’ailleurs en me demandant si “tout le concert va être aussi agité” et aussi si j’étais Belge (je ne saurais jamais pourquoi). Je lui répondis que ce n’est que le début et belge oui, spirituellement. Car il serait malhonnête de dire, qu’il n’y avait que des français dans la salle, un bon nombre de belges et anglais, remarqués pour leur accent, énergisant et vestimentaire inclus, ont fait le déplacement.
“Nasty” enchaîne de façon évidente, suivi de “Omen” dans une version électrique saisissante.
Le son électrocute (jeu de mots), rien d’hasardeux dedans. ”Wild Frontier”, “Firestarter” suivent logiquement la mouvance Punk Big Beat qui dépote, tabasse, encore plus sur scène, même si pour le second, un tout petit essoufflement se fait ressentir. Les deux vols planés de la guitare balancée très haut (inclus dans le premier rang) par Rob Holliday (ex Marilyn Manson) dès le premier quart d’heure rappellent aussi qu’on n’a pas à faire à de la Techno douillette mixée sur clé USB. Les nouveaux titres sont sidérants d’efficacité par leur puissance organique liée à ce guitariste confirmé et au batteur affirmé. “Roadbox” avec son introduction cinématographique épique arrache les frissons et les cris, avant qu’elle dévie sur une trame “Rock’N’Roll” que Maxim gère avec un tempérament de boxer en faisant reprendre au public le refrain, jusqu’au bien nommé “Rok-Weiler”.
L’éponyme “The Day Is My Enemy” avec ses percussions tribales retraitées sur un son digne de Terminator, par le machiniste hors pair Liam Howlett, résonne à point pour éveiller les oreilles et les corps à la transe rebelle et hypnotique. Si le mot rave ne veut plus rien dire aujourd’hui, Prodigy en a gardé un esprit de liberté et folie, restreint au temps du spectacle, certes, mais tellement condensé, qu’on ne peut qu’exploser durant. “Voodoo people” qui dans sa nouvelle version est toujours si jouissive, avec l’attitude adéquate de Maxim (prenant son bain de foule, debout à la barrière), est aussi surprenante pour l’intervention vocale inédite de Keith.
Constater sa mise en avant continue en tant que “chanteur” plus que sur les précédentes tournées, est aussi un point positif.
Le groupe a réussi, non seulement à survivre aux années, mais aussi à se muter prodigieusement (excusez le jeu de mots), sans aucune “autoparodie”. En l’occurence, en comparant les prestations de Keith du temps où il ne faisait que de danser tout en mimant les sons ou grimaçant comme un clown. Aujourd’hui on a faire à un sacré vocaliste ampli de hargne sur le ton “Fucking voice” digne de l’esprit Trainspotting. Et ce, au même titre que Maxim lui amène de la bonté énergisante dans ses appels avec les “All my People”.
Les titres de The Prodigy s’enchaînent sans faiblesse. On entend “Get Your Fight On”, “Run With The Wolf”, jusqu’au pseudo industriel “Wall Of Death” du dernier cru. C’est dingue sur scène, déclenchant le pogo d’anthologie dans la fosse. “Invaders Must Die” perdure cette émotion vive. “Medecine” avec ses arrangements orientaux triturés par des rythmes saccadés, déclenche une forme d’hilarisme auditif. “Smack My Bitch Up”, le “Highway To Hell” anthem des Prodigy, fidèle à sa version d’origine, tonnera comme le point culminant du show ou plutôt du coït, atteint par la grâce de l’élan d’un saut fédérateur du public pris de la position assise et accroupie.
Même les gradins, vus de la fosse, en tremblaient.
Le rappel ne tergiversera pas. Deux ou trois minutes de pause et c’est reparti avec le cultissime “Their Law” de plus en plus Rock and Roll ! Le déjanté “Take Me To The Hospital”, remodelé sur des sonorités à la Crystal Castles, retentira comme un conseil avisé. C’est en métaphore à l’entêtement laissé dans le cerveau jusqu’au lendemain.
En 75 minutes chrono, The Prodigy a retourné le Zénith comme personne et par la même a permis au public de Lille d’exprimer son potentiel de leader de la meilleure audience de France. En un mot : respect.
Josse Juilien
Découvrez le reportage photos de Sébastien Ciron dans notre galerie !