
À l’occasion du passage du québécois Moran au festival Les Enchanteurs édition 2013, l’artiste nous a accordé une interview à Lille, où il nous parle, entre autres, de son nouvel album « Sans abri ».
« Nathalie : Moran, tu reviens en France nous présenter ton album Sans Abri et ton nouveau spectacle où tu es toujours accompagné de Thomas Carbou et Sylvain Coulombe. Comment s’est passé l’enregistrement de l’album Sans Abri ?
Jeff Moran : Ça s’est passé plutôt rapidement. C’est-à-dire qu’il y a eu un travail pendant une année complète avec Thomas et Sylvain, chez Sylvain dans son studio. Tous les mercredis soir, on se libérait de nos familles respectives et on s’installait pour travailler, composer, créer. Et puis on s’est vu comme ça presque tous les mercredis et puis au bout d’une année on s’est installé en studio. On a enregistré les chansons quasiment en live. En temps réel. On a fait peut-être deux ou trois prises de chaque chanson et ça a donné un album.
Après la tournée 2012 avec l’album Mammifères, tu reviens en ce mois de mars dans le Nord pour quelques dates. On te verra notamment lors du festival Les Enchanteurs. D’où te vient ce lien si fort avec le Nord de la France ?
Moran : J’imagine que ça vient un peu de Sostenuto et les filles qui « bookent » mon spectacle. Évidemment, comme elles viennent de la région, il y a peut-être une plus grande facilité à avoir certaines dates. Sauf qu’on vient régulièrement. C’est la sixième fois qu’on vient en quinze mois en Europe. Donc oui on est venu dans le Nord mais on est allé partout ailleurs aussi, dans le Sud, en Suisse deux fois, en Belgique, à Montpellier.
Cette fois-ci, on va être beaucoup dans la région de Nantes. Donc ce n’est pas un attachement particulier à la région, quoiqu’il y a effectivement un p’tit coup de cœur pour la région, pour les gens de la région qui sont un peu plus proches de nous je pense. Ce à quoi on est habitué chez nous, comme chaleur humaine. Les gens du Nord… On est des gens du Nord aussi. Il y a un peu le même rapport de chaleur humaine qui existe chez nous aussi.
Pour en revenir à l’album Sans Abri, celui-ci est plus sombre que le précédent bien que Mammifères était lui aussi engagé. Comment l’expliques-tu ?
Je ne trouve pas que c’est plus ou moins sombre. D’ailleurs, on m’a dit la même chose pour Mammifères. Certaines personnes trouvent que c’est sombre, d’autres trouvent que c’est lumineux. Tout est question de ce à quoi on est habitué, ce qu’on écoute. Pour moi, un mec comme Léo Ferré n’est pas sombre, mais au contraire, salvateur et lumineux. Plein de propositions, peut-être auxquelles on n’est pas habitué mais ce n’est pas sombre.
Quel a été le fil conducteur de l’album ?
Moran : Ben justement, de peut-être parler un peu plus de ce qu’il se passe en général dans le monde, plutôt que de s’arrêter à soi-même. J’aborde des sujets comme le Darfour, comme la folie, la maladie mentale. En vieillissant, en faisant des albums aussi, je me suis retrouvé avec une responsabilité d’auteur. Parce que les gens s’attendent à ce que j’écrive des textes qui vont un peu plus loin. C’est-à-dire que le standard habituel, la chanson qui raconte une histoire banale et qui marche aussi. Mais ce n’est pas la trajectoire que j’ai empruntée.
Et donc, surtout chez moi au Québec, avec cette espèce de responsabilité là, « avoir une plume au-dessus de la moyenne », au sens non pas que c’est meilleur, mais que c’est inhabituel, où c’est plus de la poésie, que de la prose quotidienne. Je me suis demandé jusqu’où je pouvais aller aussi dans les histoires. Tout à coup je ne me suis pas senti une responsabilité de prendre la parole pour le monde entier et d’arrêter de regarder un peu seulement mon nombril.
Tu n’es pas que musicien, tu as également joué dans un film où tu remplaçais Philippe Katerine. Du coup pour tes clips est-ce que tu participes à leur réalisation ?
Je ne fais pas beaucoup de clips. Il y a beaucoup d’images qui sont captées en spectacle. D’ailleurs, il est possible que j’en fasse un au retour, après cette tournée. Mais ça m’énerve déjà la processus de faire le clip, parce que pour moi la chanson c’est un endroit où l’on se fait nos propres images. Et puis c’est comme le roman : quand on a lu le roman et qu’on voit le film, on est à chaque fois déçu parce que ce n’est pas ce qu’on « avait vu ».
Puis, à l’ère où l’on est, tout est tellement tout cuit et mâchouillé au moment de consommer, qu’il n’y a plus de réflexion. J’aime bien le concept qu’une chanson se doit être imagée par elle-même. Après, s’asseoir et faire semblant de chanter en faisant sembler de jouer de la guitare, je ne vois pas l’intérêt. Il vaut mieux venir voir les concerts.
Donc il y a tout un débat pour moi au niveau des clips, parce que ça reste j’imagine un outil promotionnel. Mais bon, il y en a d’autres.
Un petit mot pour tes fans du Nord et de la Belgique ?
Propos recueillis par Nathalie Briche et réalisation vidéo de Céline.