Le Crossroads Festival à Roubaix, qui démarre ce 5 novembre, est bien plus qu’un simple événement musical : c’est un carrefour de rencontres, de découvertes et de passions.
En coulisses, Benjamin Mialot, programmateur talentueux, orchestre chaque année une sélection d’artistes émergents et confirmés qui marquent la scène actuelle. Dans cette interview, il nous dévoile les coulisses du festival, ses choix artistiques et sa vision pour l’avenir de la musique indépendante.
Découvrez son parcours, ses inspirations et comment il parvient à donner vie à un festival qui fait vibrer le cœur des passionnés de musique chaque année à Roubaix.
Propos recueillis par Céline Galant.
Comment avez-vous sélectionné les artistes pour cette neuvième édition du Crossroads Festival ?
Après plusieurs années d’expérimentation, nous avons maintenant un processus bien rodé, qui repose sur un appel à candidatures auquel ne peuvent répondre que des groupes ayant déjà un minimum d’entourage : un label, un tourneur, un manager, un éditeur ou même juste un lieu de diffusion animé par une volonté de parrainage, peu importe tant que nous avons la certitude que quelqu’un sera là pour défendre le projet sur place auprès des 400 et quelques professionnel.le.s du secteur qui participent au festival.
Deux comités d’écoute sont ensuite constitués : l’un composé de programmateurs.trices et chargé.e.s d’accompagnement de la région Hauts-de-France, qui se concentre sur les candidatures émanant justement des Hauts-de-France ; l’autre interne à l’association derrière le festival, la Brigade d’Intervention Culturelle, qui s’occupe du reste de la France et de l’international. Ensuite, au-delà de l’intérêt artistique, subjectif, nous appliquons des critères objectifs visant à favoriser une diversité de provenances géographiques, de genres et d’esthétiques.
Existe-t-il une ligne directrice ou un thème particulier pour l’édition 2024 ?
Crossroads étant un festival de showcases, sa seule ligne directrice est de donner à voir et à entendre la musique d’aujourd’hui dans toute son actualité et, comme je le disais, dans toute sa diversité.
Pouvez-vous nous parler des nouveaux talents à découvrir cette année ?
Comme ils sont une vingtaine, il serait fastidieux (et peu intéressant) que je reformule le dossier de presse. Je vais donc arbitrairement et injustement faire étalage de mes affinités.
Côté Hauts-de-France déjà, il faut savoir que l’on accueille les trois projets rap les plus prometteurs de la région : Konga, qui à mes yeux devrait déjà être au firmament du rap nordiste aux côtés de Bekar, Ben PLG et Sto ; Lynx IRL, qui puise son inspiration du côté de la scène club anglaise ; et dans un registre plus courroucé et sec, les implacables 0 Degré, finalistes malheureux du dernier Buzz Booster (un scandale).
Savoir aussi que nous faisons chaque année une incursion du côté des musiques extrêmes, souvent absentes des dispositifs de repérage et tremplins, en l’occurence avec le post-metal cathartique de Queenares.
Côté sélection nationale, j’ai hâte de découvrir sur scène le post-punk vénéneux et racé de Championne, la one-woman-gospel-choir Frieda, le rap infusé de dancehall de Sika Rlion et la pop pince-sans-rire et charmeuse de Chahu. Hâte aussi de revoir Irnini Mons et leur indie rock aux vocalises ancestrales, ou encore Olkan et La Vipère Rouge et leur techno de rue aux embruns méditerranéens. Enfin, sur l’international, nos fidèles voisins belges nous envoient notamment Don Kapot, qui font du jazz comme d’autres font du punk, autant dire que c’est percutant.
Le Crossroads festival est devenu une vitrine pour la scène musicale des Hauts-de-France. Comment voyez-vous son impact sur la scène locale ?
Il est très compliqué, voire impossible de mesurer l’impact d’un tel événement sur une carrière, sinon nous serions toutes et tous des développeurs d’artistes, les clefs du succès accrochées bien en évidence à notre ceinture.
Je ne doute cependant pas de l’utilité de notre travail, que ce soit en terme d’opportunités, comme celle de se produire sur l’un des événements avec lesquels nous créons une réciprocité de programmation chaque année (Francofaune à Bruxelles, Strasbourg Music Weeek), de supports, à l’image des Crossroads Sessions, les captations live étant aujourd’hui un outil de promotion indispensable, ou de conseil, également via l’accompagnement annuel que nous dédions à un projet qui nous tient particulièrement à coeur.
Dans tous les cas, l’émulation que génère ce type de rendez-vous, et ce dans l’ensemble de la filière (notamment régionale), n’est jamais perdue.
Le Crossroads Festival est aussi un lieu d’échanges entre professionnels. Comment abordez-vous cet aspect « showcase » et réseau professionnel ?
L’idée est d’aller plus loin que la simple monstration scénique. De créer de la rencontre, de la circulation, du partenariat. Cela passe à la fois par des temps de convivialité (déjeuners et apéros) et des rendez-vous personnalisés (comme des speed meetings), mais aussi par tout un cycle de discussions et d’ateliers autour des grandes questions qui animent le secteur, de la transition écologique à l’impact de l’intelligence artificielle sur nos pratiques en passant par la santé des musicien.ne.s ou l’inclusivité.
À ce titre, il faut me saluer le travail de ma collègue Anne Burlot-Thomas, coordinatrice du festival, qui a composé tout ce programme avec le concours de TOTEM Hauts-de-France (l’antenne régionale France Travail pour le spectacle et l’audiovisuel) et l’AFDAS (organisme de formation professionnelle).
En tant que programmateur, quelles sont vos influences ou inspirations musicales ?
D’abord, une précision : je ne suis pas le programmateur du festival, plutôt une sorte de conseiller artistique. Je suis là pour opérer un premier filtre, constituer les comités d’écoute, animer les débats, veiller au respect des ambitions de l’événement, trancher en cas de statu quo… Mais je ne décide rien seul. En revanche, je suis le programmateur des 4Ecluses à Dunkerque.
Ceci posé, à titre personnel, je suis malheureusement dans la norme du métier : un mec blanc d’une quarantaine d’années qui a grandi avec le classic rock, traversé l’adolescence au son des musiques extrêmes et fait ses armes dans le do it yourself à guitares (punk, garage, noise…).
Heureusement, ma précédente vocation (j’ai longtemps été journaliste musical) et la volonté d’exhaustivité inhérente au modèle français de diffusion de la musique m’ont ouvert assez d’horizons pour que je me sente désormais aussi à l’aise et enthousiaste avec mes racines qu’avec des cultures qui ne sont pas de ma génération (comme le rap et l’hyperpop) ou que j’ai découvertes sur le tard (comme les musiques afro-caribéennes et le jazz).
Quel est votre plus grand défi personnel en tant que programmateur d’un festival comme le Crossroads ?
Exercer un métier de direction artistique implique d’avoir de l’ego. Beaucoup d’ego même, pour en arriver à se dire qu’on a un avis plus pertinent et une culture plus légitime que la moyenne.
La programmation du festival étant l’affaire de comités, comme je l’expliquais précédemment, je pense que le plus difficile est de museler cet ego, pour laisser de la place à d’autres sensibilités (et, justement, ne pas être considéré comme son seul programmateur !), mais aussi de manoeuvrer avec celui des autres participant.e.s, qui ne sont évidemment pas mieux loti.e.s et ont toutes et tous à coeur de défendre leurs propres passions. D’une manière générale, la programmation est un acte fondamentalement frustrant, puisque comme dirait l’autre, choisir c’est renoncer.
Un dernier mot pour les lecteurs de CCC ?
Deux choses. Déjà, merci d’avoir pris le temps de me lire. Ensuite, je sais que les temps sont économiquement compliqués et qu’il est parfois difficile de sortir de sa zone de confort algorithmique, mais soyez curieux.ses. Le spectacle n’est vivant que parce qu’il y a quelqu’un en face pour le lui rappeler, et vu le futur qui se profile, il va en avoir de plus en plus besoin.