Le quatuor électro rock originaire et résident de Courtrai a répondu musicalement à l’exposition annuelle Biennale Intérieur, en proposant quatre soirées inédites. Par la division sur quatre étages, dans la Buda Tower, ils ont ainsi démontré le potentiel organique de la création, et partager l’essence même de l’âme du groupe.
Arrivé devant l’immeuble je suis frappé de constater qu’un seul agent de sécurité assure le service pour un tel événement. En France il ne serait même pas imaginable de pouvoir organiser le même concept, dans un établissement de hauteur, recevant du public, sans subir la pression fatalement compromettante des normes réglementaires et autorités administratives. Au rez-de-chaussée l’accueil est chaleureux, et selon mon souhait on m’envoie à l’étage du chanteur Mickael Karkousse. Cinq étages à pied pour vivre le 7e ciel dans mon esprit, et yeux qui donnent sur la vue magique des tours du Broel éclairées. Quand nous entrons dans la pièce très sombre, Mickael est déjà là. Il se tient debout, figé avec sa guitare autour du cou, au milieu de ses instruments (claviers à la droite, percussions à sa gauche). Derrière lui est placé un grand écran vidéo qui superpose la baie vitrée offrant une vision vivante de Courtrai la nuit. L’idée que c’est l’endroit sur Terre où il faut être à ce moment précis me chatouille les neurones.
De chaque côté, quatre autres petits écrans de vidéos agrémentent la décoration. Une soixantaine de petits sièges entourent le tapis servant de limitation de « scène ». Je suis assis juste en face de Mickael, à un mètre. L’atmosphère est silencieuse, intimidante, mystérieuse. Le minimalisme sophistiqué est aussi impressionnant qu’une scène dantesque. Je pense à ses acolytes dans la même posture aux 3 autres étages, Bert Libeert à la batterie, Tom Coghe à la basse et Dave Martijn à la guitare, c’est fascinant. Les écrans s’illuminent agressivement et envoient le décompte non anticipé : 10,9,8…3,2,1 ! La première note de guitare électrique, mise en boucle hypnotiquement sur les visages concentrés des musiciens, en gros plan, me happe littéralement. Les gens observent les vidéos, mais aussi le visage de Mickael face à nous et se regardent curieusement. Le visage est la thématique de cette longue introduction qui donne au son une sensualité déconcertante. La guitare qui progresse lentement sonne comme un vieux Led Zeppelin en vinyle, mais qui serait raillé sur son passage le plus basique. Au fur et à mesure des nouvelles interventions d’instruments, les vidéos interviennent synchronisées.
Malgré des conditions diamétriquement opposées au concert traditionnel de Goose et d’une trame musicale inconnue, l’identité sonore est toujours si puissante et efficace. L’expérience fonctionne, on pense et on ne vit que pour l’instant privilégié. Chapeau bas aux techniciens qui en place depuis des semaines ont aussi assuré le rendu. La mélodie qui se dessine sur des guitares superposées dévoile enfin le groove avec la batterie qui balance. Mickael pose la voix dans un style inhabituel et surprenant qui lorgne du côté « psyché krautrock electro pop » employé par Bobby Gillepsie des Primal Scream. Dans la seconde partie, il sonne comme du Dave Gahan jeune. Alors que le voyage musical évolue dans une forme d’interlude sentimentale, au refrain digne d’un « I Won’t Let You Down » de Ph.D (1982), Mickael émeut de son timbre plus sensible, déchirant sous l’écho de ses voisins d’étages. Le passage est magnifique avec les sons de xylophones joués par Bert, tournoyants dans les enceintes, pendant que sa prestation filmée en noir et blanc tournoie sur les écrans.
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Musicalement avec le xylophone on est proche du son de Construction Time Again de Depeche Mode (dont l’influence se ressent jusque dans le nom de la bande originale), mais en version acoustique, développe le grand frisson viscéral. Les guitares ré-interviennent avec force et évoquent ce coup-ci le grandiose progressif de Nine Inch Nails (The Day The World Went Away). Le synthétiseur vintage à la Pink Floyd apparaît sur un roulement de batterie d’anthologie qui n’en finit plus. On a mal au bras pour Bert qui impressionne physiquement et auditivement de sa maîtrise. Après le concert Mickael le comparera même à Phil Collins dans sa grande période. Une ligne de basse époustouflante à la Soulwax déclenche les claquements de main dans le petit auditorium, avant qu’un solo de guitare transpire la ferveur des années 1970 d’un Thin Lizzy.
La virtuosité de ces musiciens qui ont été nourris par trente années de culture musicale sans œillères est juste phénoménale. L’alchimie de ces quatre membres, même séparés, opère à la perfection et forge le respect. Goose est un vrai groupe de rock contemporain et en passe de devenir le plus grand groupe belge. Dans le contexte du direct, il est inconcevable de penser autrement. Le morceau évolue encore, tandis que Mickael prend les baguettes et tape aussi sur les percussions, les accords de basse et guitares envoient la sauce rock’n’roll sur des sons expérimentaux influencés par le Krautrock. Le refrain final se dévoile, envoûtant, transcendant, héroïque, déchirant tout sur son passage. Le refrain résonnera encore de longues minutes après que les amplis aient été débranchés. Ce titre de trente minutes passées, démontre à quel point le groupe a des choses à dire, à faire, à prouver, et promet une grande inspiration mature pour le quatrième et nouvel album. Goose tient là son passeport pour l’entrée dans le mastodonte des groupes qui compteront en 2015 et à l’avenir. Nul doute que la version reconstruite en single, à mille lieues du précédent « Falling » (composé pour I Love techno l’année dernière) marquera son histoire.
Sur les quatre représentations, j’ai choisi celle du lundi, car elle annonçait aussi Goose aux platines DJs en « after-party ». Autant joindre l’utile à l’agréable et rentrer encore plus dans le karma de ce groupe hors pair. Bons enfants et disponibles dans leur fief, Mick, Bert, Tom et Dave ne sont pas avares de communication avec leur public, ou leurs invités. La salle du rez-de-chaussée se transforme en Club Belge typique sur le son de Tiga, Two many Djs, Chemical Brothers ou encore technotronic mixé par Mickael, relâché de toute pression. Il sera secondé par Bert alias B, qui officie sous cette lettre comme artiste revendiquant le style radical de l’Acid Techno EBM (Electro Body Music héritée de ses aînés Front 242). Plus jouissif et original dans son « set », il mixe aussi ses propres compositions avec effets directs. Difficile de s’imaginer être lundi (ou mardi, il est 2 heures du matin) dansant hilare sur la piste de danse.
C’est cela aussi Goose, des Belges généreux qui ne manquent pas d’éducation épicurienne. C’est arrivé près de chez vous et c’est juste exemplaire.
Josse Juilien