
Les chansons de Gauvain Sers descendent dans la rue. Certaines se chantent le poing levé. D’autres se fredonnent le sourire aux lèvres, le cœur léger.
C’est avec ce répertoire charpenté sur deux axes – social, sentimental – que le chanteur nous embarque dans son deuxième album au titre évocateur, Les Oubliés.
Le précédent opus de Gauvain Sers, Pourvu, écoulé à plus de 115 000 exemplaires, s’est promené au long de 168 concerts. C’est durant cette période que le Creusois de 29 ans, originaire de Dun-Le-Palestel a écrit la majorité de ses nouveaux morceaux. Ce sont des chansons d’automne mélancolique et de printemps de révolte, où se manifestent les crises et les colères d’aujourd’hui. Le mail d’un instituteur de Ponthoile (Somme) lui a inspiré Les Oubliés, en mars 2018.
« J’avais déjà en tête de parler de la désertification et je cherchais un angle. La fermeture d’une école est le symbole le plus fort qui soit », assure le fils de prof – son père enseigne les maths.
Gauvain Sers porte la voix des gens de l’ombre.
Les « trop loin de Paris ». Ou les victimes de harcèlement de rue, un constat envisagé du point de vue, consterné, d’un homme impuissant à protéger sa fiancée lorsqu’il n’est pas auprès d’elle (Excuse-moi mon amour). Le sujet est né d’une conversation entre copines, dans une soirée. Gauvain a tendu l’oreille.

L’auteur se nourrit de rencontres, de témoignages, de lectures de journaux, de documentaires mettant en avant la parole d’invisibles. Les migrants sont aussi naturellement au centre des Oubliés, avec Au Pays des Lumières :
« le texte est plus frontal, c’est parfois nécessaire d’être cash – comme j’ai pu l’être auparavant dans Hénin-Beaumont – pour faire passer un message. Mais, en général, je préfère les chemins de traverse. »
Armé d’un stylo-caméra, le fan de cinéma photographie les mots. Dans Les Oubliés, on pousse ainsi des grilles fermées, on ouvre des tiroirs secrets, on farfouille dans des « boîtes à chaussures » égarées, on feuillette des albums-photos jaunis. Le titre de l’album s’est imposé de lui-même.
« C’est la suite logique de Pourvu, j’évoque là encore des propos contemporains et des questions plus universelles. »
Les airs militants côtoient des rengaines « écrites à la main » comme des lettres d’amour.
Il y est question de rupture (Le Tiroir), d’amour fou (Ton Jean bleu), de nostalgie (La Boîte à chaussures), de bières et de potes (Changement de programme, L’épaule d’un copain). Le chanteur s’amuse à mettre en scène des jeux de piste ou de miroir : la compagne endormie, le grand-père tendre, la lettre de rupture, l’épaule d’un ami et même le tracteur ou le coup de fil de la belle-mère sautent ainsi malicieusement d’une chanson à l’autre, voire d’un disque à l’autre.

Que restera-t-il de nous ? interpelle avec son interrogation si particulière, puisque le texte de cette chanson court au fil des pages du dernier roman de Michel Bussi, J’ai dû rêver trop fort. Les deux férus de chanson française se sont rencontrés lors d’une interview croisée, une amitié est née. Gauvain a mis en musique les mots de l’écrivain, et leur collaboration se présente – c’est une première – comme la bande originale d’un roman.
Le style d’écriture – édito, portrait, déclaration – convoque la forme : guitares frondeuses, piano doux, orgues vibrants, cordes lumineuses. Gauvain Sers a réalisé Les Oubliés, avec Yarol Poupaud et Dominique Blanc-Francard, rencontrés à l’occasion d’un hommage à Johnny Hallyday, où il reprenait Le Pénitencier.
« J’imaginais un album joué de la même manière, c’est-à-dire live, qui mélangerait la chanson française avec des guitares aux sonorités anglo-saxonnes. J’avais des idées très précises, une trame de départ, le folk des années 1960, 1970. La direction artistique était d’ailleurs ‘’sur la route de Nashville’’.Yarol a été le chef d’orchestre, Dominique a amené son expertise et son sens minutieux du son. »
Dans la bagnole de son père qui emmenait la famille aux manifs ou voir des concerts de chanteurs engagés, passaient Brel, Brassens, Ferrat…
Et aussi, Renaud, Anne Sylvestre. Le coup de téléphone de Renaud à Gauvain, lui proposant d’assurer ses premières parties, au Zénith de Paris, en 2016, a propulsé l’ancien ingénieur informaticien, dans le grand cirque de la musique.
Dans Les Oubliés, Anne Sylvestre entonne Y’a pas de retraite pour les artistes, une réflexion à la douceur inquiète sur la flamme jamais éteinte.
« L’enregistrement a été un moment suspendu, je n’aurais jamais imaginé un duo avec Anne lorsque je la croisais dans les lieux où j’ai débuté, après mes cours à La Manufacture Chanson : Le Limonaire, le Connétable, Le Forum Léo Ferré. Elle m’a dit que cette chanson lui ressemblait. En studio, nous avions tous les deux les larmes aux yeux. Je suis attaché au sens de la famille, à la famille des chanteurs et à la transmission. »
Rendre hommage aux générations qui nous ont forgés… Un message que Gauvain n’a pas oublié.
