« J’ai vu la mort, j’ai vu la vie, j’ai vu l’amour…
J’aime bien les chansons réalistes, j’aime bien l’album de From&Ziel donc, l’album de From&Ziel est un album de chansons réalistes.
« 4 murs, 4 planches » a l’ambiance glauque d’« Amsterdam » 1, « Toucher la lune » a la tristesse de « Je t’en remets au vent » 2, le « Garçon de restaurant » doit travailler à quelques encablures de « La salle du bar-tabac de la rue des martyrs » 3 et la « Femme Fontaine » arpentent les mêmes trottoirs que l’ âme perdue d’ « Au creux de ton bras » 4.
L’album de From&Ziel est une boîte de Pandore qui fait resurgir les maux de notre humanité : colères, nostalgies, misère des pauvres gens que l’on appelle nos frères, tourments, souffrance, vieillesse, laideur, sacrifice, sang, chair, sexe, drogue, rage, haine, violence, peurs au ventre et mort aux trousses, pleurs, cris, douleurs, des dégoûts… voyez-vous.
Mais au fond, il subsiste l’espérance, et ce spectacle est haletant. Je sais, ça fait beaucoup dans un seul album, mais ce n’est pas si exagéré que cela.
« Du n’importe quoi, du n’importe où, à n’importe quelle heure »
L’album est un fil en tension entre le jour et la nuit, le bien et le mal, l’amour et le désespoir, le noir et le blanc. Comme les touches du Piano. Un Piano dramatique et romantique. Un Piano pour un funambule qui marche sur des mots. Ce piano, c’est le fil de la vie.
Quelques paroles de Mano Solo illustrent parfaitement ce voyage en profondeur :
« Et là debout sur le trottoir
Comme chaque soir
Je te raconte l’histoire
Des larmes de rue
dans les bars qui puent
Les regards moisis
Et les corps meurtris
Et putain, Je suis fatigué »5.
Même si l’on retrouve les « thèmes » des chansons noires et réalistes d’un Montmartre du début du siècle dernier, de l’entre-deux-guerres ou du retour à la vie difficile de l’après-Seconde Guerre mondiale, ce disque grave notre époque ; les maux n’ont pas changé, ils s’écrivent et se vivent autrement. Il interroge sur nos situations actuelles, cette nouvelle « crise » comme ils disent avec, donc, un goût de déjà vu. J’ai envie de savoir. Je sais pas, je sais pas. Va voir mon père, va voir ma mère, ils te diront peut-être comment faire. Quand tu sais pas, t écoutes.
Ces chansons s’accordent au passé et au présent, elles sont brutales, les cris et les notes de From&Ziel déchirent une nuit, omniprésente, que l’on imagine venteuse, balayée par une averse de répliques, ça résonne dans la tête, ça fait des fracas. Mais c’est beau. Encore presque du Mano Solo :« J’ai jamais vu du noir si beau ».6
Une nuit souvent éclairée par la Lune qui laisse apercevoir des scènes étranges et des silhouettes errantes.
« Il y a une respiration profonde, quelque chose qui sort, de la transpiration »
Les chansons parlent aux yeux, troublent les sens. Il y a quelque chose qui gronde du plafond jusqu’au parterre. Le décor est souvent planté : la ville où des débiles se battent et se débattent, le quartier de la gare Saint Charles, avec une odeur qui empeste et quelque chose dans l’air qui perturbe et qui résonne, les rues de Nîmes où des dandys se dandinent et tapinent, la scène faite de planches ou de béton, le fond d’une fromagerie, les recoins de la salle de bains, l’ascenseur dans le building, le trottoir, les bars le soir, un restaurant…
Ce ne sont que des espaces de passages, d’échanges, de départs, des limites, des lisières, des bords glissants où les protagonistes s’enfoncent, traînent, tombent, d’où ils partent, où ils reviennent, qui les font basculer, parfois, dans la colère et la violence, mais souvent dans la mélancolie et la nostalgie. Je dois partir, je dois dormir, je dois sortir, je dois courir. Aller par ici pour aller là-bas.
Et ils sont nombreux à déambuler sur cette scène plus vraie que nature.
« Une dynamique de groupe, une troupe en fusion »
Des gars mythos et accros, des paranos, le p’tit gars qui s’intéresse au magot et qu’a grandi trop vite ni un grand, ni un enfant mais un mutant, le garçon de restaurant simple mais pas simplet ; trop d’potos, trop d’gars relous, des sœurs accros, des fous, des sorciers voodoo des voyous, des barbus, des baltringues, des bidasses dans des bordels, des tueurs amateurs de tartare, des déglingos, des fachos-mégalos, une meute de loups croisée avec des hyènes, des repris de justesse, des branques, des braqueurs de banque, des flics, l’avare que Molière montre du doigt, des artistes ou fanfarons, des silhouettes qui s’la pètent, un astronaute qui voudrait toucher la lune, le père, la mère, la Femme Fontaine à la belle chevelure rousse.
Il y a Carmen. Carmen, il faut que je t’avoue, j’ai un petit penchant, quand je vois ton dos, mon tour ne fait qu’un sang.
Il y a toi et ton corps, ton parfum, t’es si jolie quand tu me laisses m’approcher de tes caresses, reste la même s’il te plaît, tu me fais craquer, tu es ma Bohême, ma solution sans rêver.
Et enfin, il y a Pépée. T’avais les mains comm’ des raquettes, t’avais les oreill’s de Gainsbourg, les yeux comme des lucarnes, le cœur comme un tambour, Pépée…
Pépée, une folie de Léo Ferré. Une femelle chimpanzé aux grands yeux tendres. Pépée avait sa chambre, ses jouets, elle déjeunait avec la famille, conduisait la voiture sur les genoux du chanteur. Ferré l’appelait “ma seconde fille”. Elle était en liberté. Et peu à peu, elle devient incontrôlable, détruit la vie de famille, s’empare d’un bébé dans une poussette, et s’échappe avec lui sur le toit. Lorsque Pépée meurt, en avril 1968, Léo est effondré. Il était content d’avoir fait cette chanson, en l’interprétant chaque soir, il était obligé de penser à elle, encore.
Dans la boite de Pandore, seule l’espérance, plus lente à réagir, reste enfermée. Pandore, c’est la source des maux, mais aussi celle de la force, de la dignité et de la beauté, puisque l’être humain ne peut s’améliorer sans adversité. Elle lui donne la force d’affronter ces épreuves même s’il est rétamé absorbé, imbibé.
Il vaut mieux s’aimer que de ne pas ouvrir les bras pour embrasser, pour enlacer.
Je me demandais si je pouvais une fois ? Encore une fois ? Une dernière fois ? La toucher.
J’ai touché la Lune. Elle était brune. Un coucher de soleil pour lui dire qu’elle est belle.
Le soleil levant jaillit et rougit.
J’ai vu la beauté et le bonheur d’une saison que l’on nomme le printemps.
Le printemps rare.
Des couleurs venues des îles de paradis.
L’espoir de croire aux belles images.
Tiens la route quand tu doutes.
Juste un petit peu d’espoir ce soir.
Une petite lumière, une petite croisière, un long parcours, une scène d’amour.
J’ai vu ton corps, j’te serre fort. Et j’me sens plus fort.
J’ai besoin de me battre, de planter des clous, ouvrir les soupapes, faire du kung-fu, vivre dans le bio ou l’énergie nouvelle, ne plus voir dans la Crau des champs de sac-poubelle.
Rire aux éclats, vivre une dernière fois.
Laissons-nous aller, petits baisers, petits câlins…
Les jours heureux des amoureux, un merveilleux été, détendus, allongés…
Des pâquerettes dans les prés.
… Je t’aime encore et toujours »
Notes :
1 : Jacques Brel n’a jamais fait d’enregistrement studio d’ « Amsterdam », il n’en existe qu’une version en public disponible sur l’album Olympia 1964.. Brel n’aimait pas cette chanson.
2: 1978 : Hubert-Félix Thiéfaine – Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir (1978).
3 : « Dans la salle du bar-tabac de la rue des Martyrs » -Pigalle-Regards affligés sur la morne et pitoyable existence de Benjamin Tremblay, personnage falot mais ô combien attachant (1990).
4, 5 & 6 Mano Solo : 4 :« Au creux de ton bras » et 5 :« Allô Paris » – extraits de La marmaille nue (1993) et 6 : « Je reviens »-Les années sombres (1995).
L’auteur :
M. Bix, chronique de ‘J’ai vu l’amour‘ de From&Ziel. L’écoute très courte par M.Bix, c’est par ici.