Du jeudi 14 au dimanche 17 septembre s’est tenue la deuxième édition du Crossroads Festival – Xroads pour les intimes -, premier festival européen de showcases des Hauts-de-France.
Le principe du Crossroads Festival ? Une trentaine de groupes français, belges ou luxembourgeois prometteurs (le champ des possibles étant appelé à s’étendre), de tout style, jouant chacun un set de trente minutes.
Une bonne façon pour ces artistes de se faire connaître des nombreux professionnels venus sur place. Et pour le public, mélomane et/ou curieux, de goûter à la diversité des propositions musicales et scéniques. En parallèle et en journée, des conférences, ateliers et rencontres professionnelles étaient proposés par les acteurs de la filière.
Quatre jours, quatre ambiances, de multiples façons de picorer des univers bien différents.
Car picorer, c’est bien le mot.
Il faut en effet avouer quelque chose : croire que l’on peut tout voir, tout entendre et tout apprécier à sa juste valeur est finalement assez illusoire. Une trentaine de show cases de trente minutes, c’est comme aller dans un restaurant « tout à volonté » et penser pouvoir absolument tout goûter en bonne quantité : c’est quasiment impossible. Néanmoins, cela permet d’avoir un aperçu des projets du moment à suivre. Le plaisir de la découverte passe par là…
Place à présent au reportage. Au regard de ce qui a été dit avant, appréciations purement subjectives garanties…
Jeudi, soirée d’ouverture du festival Crossroads
Après le début des festivités au nouveau campus universitaire de Roubaix avec 9 Million Witches et Le Duc Factory, place à la soirée d’ouverture à la Cave aux Poètes.
Le duo luxembourgeois Napoléon Gold investit la scène de la Cave en proposant un set électro fait de pads lumineux et de sons de batterie acoustique. Les sonorités choisies font penser à Fakear, musclées par un jeu de batterie plutôt ample. On y gagne en force, on y perd en rêverie. Concert sympathique qui se laisse écouter, mais pas de révélation outre mesure.
Grindi Manberg, groupe de pop rémois, fait quant à lui sensation devant un public plus compact et réceptif. Novateur, précis, le quatuor sert des chansons aux détours et enchaînements d’accords agréablement surprenants. Le tout, associé à un batteur expressif et un bon travail autour des sons, donne un univers assez proche de Radiohead ou Mercury Rev. Cependant, la voix cotonneuse et voilée du chanteur a donné une petite frustration, celle de ne pas entendre d’explosions vocales à certains moments où l’on aurait pu l’espérer. Coup de cœur de la soirée.
Fléau clôture enfin la soirée. Nom évocateur d’un électro sombre à souhait, plutôt mid tempo.
Le grand bonhomme se courbe sur ses machines, les mains cachées (malheureusement) par l’écran de son ordinateur portable. Les effets de lumière sont à déconseiller aux épileptiques. Les nappes de basse combinées aux arpèges synthétiques donnent une ambiance de cathédrale romane. Le tout donne une note lugubre à cette fin de soirée.
Vendredi, premier round du marathon de concerts
Et on commence avec SARASARA qui fait pas mal parler d’elle avec son électro étrange porté par des voix superposées, déstructurées et intrigantes. La dame ne manipule pas elle-même les machines sur ce set, mais a confié les manettes à un DJ ad hoc derrière elle qui déclenche les sons forts en fréquences basses. À ses côtés, trois choristes masculins. Mis à part quelques chansons phares, il reste une attente de mélodie accrocheuse qui permettrait sans doute une plus grande immédiateté. Certaines harmonies, notamment vocales, ont malheureusement tendance à friser. À savoir si c’est voulu ou pas…
Sur la scène d’en face, l’amiénoise Eleanor Shine déroule son set original fait de boucles superposées et traitées en live, jouées sur son violon. Cela donne de petits tableaux faits de nappes sonores, d’arpèges et de saturations bien exécutés. Le plan lumière, quant à lui, est simple mais efficace. Il arrive que la demoiselle chante quelques phrases. Les textes en français ne sont cependant pas son point fort et mériteraient d’être affinés. Ajouter une rythmique dans les boucles pourrait aussi amener plus de vie à l’ensemble. Après tout, le violon peut aussi être un instrument percussif… Bref, nous avons hâte de voir comment va évoluer le projet.
Les bruxellois d’Hydrogen Sea enchaîne ensuite avec leur pop toute en douceur. Le genre que l’on emmènerait bien en vacances sur des routes ensoleillées, secoué d’un léger spleen. Le trio machines / batterie / chant féminin fonctionne bien, malgré la frustration de ne pas savoir ce qui est vraiment joué sur scène. La sauce finit par prendre grâce à des mélodies simples et à la voix pure de la chanteuse qui semble s’inscrire dans un style années 2000.
Kimberose vient ensuite nous servir de la soul généreuse.
La chanteuse, entourée de bons musiciens et avec sa gestuelle classieuse, nous plonge dans une ambiance à la Jackie Brown en trente secondes. Sa voix ne semble cependant pas assez mise en avant dans le mix, ce qui donne une impression de manque de puissance… Kimberose a cependant apporté la touche de soul qui manquait jusqu’alors au festival.
Après l’électro hip-hop de Sônge, place aux Radical Suckers. Ce power trio avesnois est punk en diable mais pas que : les influences stoner et métal se ressentent également dans leurs morceaux.
Tout est très carré, très direct et conquiert immédiatement une foule devenue plus compacte. Le bassiste ultra énergique fait des émules. Les mecs osent le double solo guitare/basse et ont bien raison, au vu de la performance. Ils ne s’économisent pas et le public le leur rend bien. Coup de cœur de la soirée.
Viennent ensuite The Lumberjack Feedback, groupe de métal instrumental impressionnant avec ses deux batteurs au centre de la scène et aux gestes coordonnés. Le mur de son est intense et sans concession. La scénographie est bizarre, cryptique et dérangée. Un vrai univers.
Puis Cayman Kings nous appelle, toutes guitares et orgues dehors.
Le groupe lillois nous propose un revival rétro, bien fait, carré, mais pas suffisamment novateur, crade ou sexuel pour réellement nous interpeller. Tout est bien maîtrisé, depuis le matériel utilisé jusqu’aux chemises assorties des protagonistes. Il manque peut-être un lâcher-prise qui pourrait faire passer le groupe dans une autre dimension.
Place à l’électro avec Monolithe Noir et ses kicks à te faire défoncer le crâne.
Un public de moins en moins timide se déhanche sur un mélange de nappes sonores et d’oscillations plus ou moins bourdonnantes. L’univers visuel proposé en projection est délicieusement angoissant.
Les bretons de Dynamic Blockbuster prennent ensuite place. Ces cinq musiciens, à la fois joueurs de cuivres ou de saxophones et déclenchant des éléments de musique électronique, proposent un set avec du groove et des touches rétro hip-hop. Rafraîchissant.
Azur investit alors la Condition Publique avec son électro bien ficelée aux étapes et progressions maîtrisées. Le public est embarqué dans l’onde de choc. Le mec est concentré mais pas avare en interactions discrètes avec le public. Quelques pads sur lesquels Azur vient jouer avec baguettes viennent égayer le show.
You Man clôture la salve de concerts. Ce duo DJ/VJ a fait danser la Condition sans retenue avec un set excitant tant musicalement que visuellement.
Samedi, plus de chanson, plus de belges francophones, plus de grosses basses
Durant l’après-midi, en plus de conférences, ateliers et speed meetings professionnels, des concerts étaient proposés dans les murs de la Condition Publique, hors scène. Sielle a ainsi pu présenter un mélange détonnant de piano acoustique fort bien joué, de hip-hop francophone et de voix soul féminine.
Dommage que l’écho des lieux gâche la compréhension des textes qui avaient l’air de bonne facture. Le trio a, malgré ces difficultés, su rassembler un public nombreux autour de lui. Ils ont été suivis par Louis Arlette.
C’est le bruxellois Mathias Bressan qui a inauguré la scène de la Condition Publique le samedi soir. Ce chanteur-batteur a présenté un univers musicalement riche et aux paroles francophones singulières, comme lui. Un sentiment d’urgence et d’angoisse diffuse semble ressortir de sa musique. À suivre.
On continue dans la veine belge francophone avec Kouzy Larsen et son set rock efficace et nerveux.
Cheap Wine investit ensuite la scène d’en face.
Ce quintet, avec ses orgues et ses solos de guitare, s’inscrit clairement dans une esthétique psychédélique des années 1970. Si l’énergie est proche des Who, c’est surtout aux Doors que l’on pense, et l’attitude chevelue du chanteur y est sans doute pour quelque chose. Mais attention Cheap Wine, il ne peut n’y avoir qu’un seul Jim Morrison…
Vient ensuite le groupe que pas mal attendaient, les rennais de Bumpkin Island. La chanteuse-pianiste du groupe, entourée de cinq musiciens, proposent une musique riche et sensible. On sent clairement une influence Radiohead période « In Rainbows », notamment sur les rythmiques. L’ajout de trompette sur certains morceaux est également bienvenu et nous fait basculer, tout comme certains synthés, dans l’univers de « Kid A » des mêmes Radiohead. Comme leur grand cousin, Bumpkin Island maîtrise l’art de la montée en puissance, avec beaucoup de classe et d’émotion. Un seul (petit) regret : que malgré le court laps de temps pour jouer, le groupe n’ait pas pu offrir des moments plus épurés où faire respirer un peu mieux leur musique. Coup de cœur de la soirée.
Après les luxembourgeois folk-pop de Seed to Tree, Le Duc Factory nous joue un rock hybride assez déroutant de prime abord.
Une fusion d’influences Motörhead pour la batterie rapide, Genesis période Peter Gabriel pour le côté prog’ et certains enchaînements rythmiques et harmoniques. Mais aussi des couleurs blues, rock des années années 1950… Ce mélange passe cependant très bien car les passages de l’un à l’autre restent fluides. Vers la fin du set, c’est le côté Genesis qui semble l’emporter, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Les jolies harmonies vocales parviennent presque à oublier notre envie de voir un clavier compléter le tout…
Après Junior Makhno qui fait trembler les murs de la Condition Publique, place à Hildebrandt, artiste chanson en pleine ascension / consécration, qui semble avancer en territoire conquis. Entouré de deux musiciens mais soutenu par une batterie présamplée, l’auteur-compositeur a enchanté la Condition Publique avec un jeu plus musclé qu’auparavant, lorgnant sur une électro-rock à la Lescop.
Puis le rock de Jojobeam a su convaincre une foule enthousiaste, suivi par Renoizer et ses grosses basses qui n’ont pas réussi à faire s’effondrer la verrière de la Condition Publique.
La soirée s’est clôturée avec le groupe parisien Yalta Club qui a eu le droit à une heure de set au lieu de la demi-heure accordée aux autres. Il nous a servi une pop efficace aux détails évocateurs du voyage (et égrenés sur les musiciens portants de discrets bijoux et peintures). Une nouvelle fois, des parties de trompette live sont proposées sur scène, à croire que ça devient tendance. Cependant, la trompette live a semblé se mélanger aux cuivres synthétiques du clavier, ce qui a dilué la sensation de live. Une chose est sûre, la joie de Yalta Club d’être sur scène est communicative.
Dimanche, le jazz après la tempête
C’est dans une toute autre atmosphère que la Condition Publique accueille les derniers groupes du festival, pour une après-midi consacrée au jazz et au funk, devant un public plus familial.
Acid Jazz Machine commence avec un duo piano / batterie tout en détente et bonnes vibrations. Le groove du batteur se marie très bien avec le piano électrique. On oublie d’ailleurs très vite qu’ils ne sont que deux et qu’il n’y a pas de basse, car celle-ci est remplacée de main (gauche) de maître par le pianiste, qui nous fait une belle démonstration d’indépendance des mains. Bref, ça fait penser à du Prince avec dix musiciens de moins, et un espace sonore néanmoins bien rempli.
Autre groupe, autre dimension avec le Big Funk Brass et sa dizaine de musiciens sur scène dont deux hélicons qui font leur petit effet. Au-delà du côté brass band, le groupe surprend par ses parties chantées et scandées. On notera de bons solos de trompette et de saxophone qui font plaisir à entendre.
Enfin, les Headshakers clôturent le festival avec brio.
Le groupe, connu pour ses shows à la gloire de Franck Zappa, nous a servi des compositions originales dont certaines sont attendues pour leur prochain album en préparation. La pensée la plus spontanée en les voyant sur scène : « Putain, ça joue ! ». Avec leur dégaine irrésistible, chaque musicien pris individuellement est excellent et l’ensemble l’est tout autant. Groovy, funky, drôle et excitante, la performance de ce collectif a ravi le public. Coup de cœur de la journée.
C’est donc sur ces notes positives que se termine la deuxième édition du Crossroads Festival.
On a aimé : la diversité des choix artistiques présentés, l’organisation des soirées sans temps mort, les conférences, ateliers et rencontres.
On aurait aimé : plus de choix et de qualité dans les foodtrucks proposés, l’incorporation des groupes de jazz et de funk dans la programmation « générale » et non pas sur une journée à part, pouvoir mieux entendre les paroles des groupes présentés dans des espaces avec écho trop important.
Chapeau le Xroads. Chapeau Roubaix. Et à l’année prochaine.
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