Bouchons sur l’autoroute, pluie, froid, courants d’air jusqu’à l’Aéronef de Lille. Et, pour couronner le tout : une première partie de Destroyer – Nicholas Krgovich – jouée devant à peine une trentaine de personnes.
Autant dire que, sur les coups de 20h30, mercredi et soir du concert de Destroyer, je me suis demandé pourquoi je n’étais pas resté chaudement au lit pour regarder une série.
Quelques gorgées de bière au bar afin de dissiper les doutes.
Avant que le Canadien Dan Bejar et sa bande de huit (!) musiciens ne débarquent sur la petite scène de la salle lilloise. En configuration restreinte mais suffisante pour accueillir tout au plus une cinquantaine de mélomanes. Espérons (pour le groupe) qu’il s’agisse de la plus maigre affluence enregistrée depuis le début de la tournée « ken », entamée fin septembre aux États-Unis. Une réponse impossible à lire sur le visage du leader de Destroyer.
Impassible à son entrée sur les planches en découvrant cette faible assemblée. Aucune expression sinon son habituelle mélancolie dans le regard. Appuyé sur le pied de son micro pendant les deux morceaux d’ouverture, Dan Bejar confirme qu’il est haut perché. Et épate d’emblée par le timbre de sa voix, atypique et charismatique. Entre deux phrasés, il courbe sa grande carcasse pour attraper sa canette de bière. Il est ailleurs. Ses musiciens, eux, sont bel et bien présents et vont définitivement écarter nos craintes : la soirée va être belle.
Le groupe débute avec le mélancolique Sky’s Grey. Puis, il enchaîne In The Morning et Tinseltown Swimming In Blood, qui sont aussi les trois premières chansons de « ken », le douzième album de Destroyer. Synthés années 1980 et beats minimalistes viennent enrichir les compositions pop bariolées et complexes qui font la caractéristique du groupe de Vancouver. Les références aux Smiths, The Cure, The Church, New Order ou encore Suede. Des influences ouvertement déclarées par le parolier canadien, prennent ici tout leur sens.
« ken » sonne comme un album très années 1980 mancunien.
Le maigre public de l’Aéronef se surprend même à se déhancher. Tout comme Dan Bejar qui agite son tambourin, dos à son auditoire. Le classique Kaputt (2011) ou l’enivrant Chinatown font parler les cuivres et les guitares. Flûte, trompette, saxophone, batterie, clavier, guitares et basse. La petite fanfare de Vancouver et les paroles répétitives de Bejar régalent les fans tout au long d’un set millimétré. Le tubesque Cover From The Sun, issu de « ken », met tout le monde d’accord en toute fin de partie. Un seul regret, à titre personnel : l’absence du titre La Règle du Jeu, qui boucle merveilleusement « ken » avec sa boucle électro et son solo de guitare. Un morceau jamais encore joué par le groupe sur scène, mais que le refrain en français laissait espérer pour une petite surprise au public lillois.
À la sortie, même ceux (nombreux semble-t-il) qui ne connaissaient pas Destroyer, mais que la distribution de places gratuites avait eu raison de leur curiosité (il n’aurait pas fallu qu’il y ait plus de monde sur scène que dans le public), reconnaissaient la qualité de la prestation des Canadiens. Sans doute se sont-ils penchés le lendemain sur les onze merveilles qui composent le douzième album des Canadiens, dont sept ont été jouées mercredi soir.
Pour l’anecdote, « Ken » est le titre original de « The Wild Ones » (1994) des Londoniens Suede, le morceau préféré de Bejar. Lequel n’a jamais caché son admiration pour la musique britannique. Ce jeudi, celui qui est aussi un membre éminent des The New Pornographers, prenait avec sa bande la direction de Brighton pour huit dates à travers la Grande-Bretagne. Là où il puise ses fascinantes inspirations. Et ce n’est pas les cinquante tordus de mercredi soir qui diront le contraire.
Par Yannick Lefrère