On le sait depuis La Superbe (2009) – son double album triomphal -, Benjamin Biolay entretient une passion dévorante pour l’Argentine et particulièrement sa capitale, qui lui inspira la chanson Buenos Aires en forme de déclaration d’amour : « Je suis si bien ici/Que je ne veux plus rentrer à Paris ».
Des concerts chaleureux dans le pays d’Astor Piazzolla au tournage mémorable du film Mariage à Mendoza (2012) d’Édouard Deluc, le chanteur Benjamin Biolay a depuis multiplié les allers/retours. Jusqu’à poser ses valises, en octobre 2015, dans le quartier de Palerme pour nourrir le successeur de Vengeance (2012), où il interprétait Venganza dans la langue de Jorge Luis Borges, le célèbre écrivain argentin.
Ébauché comme la bande-son d’un film imaginaire, une « audio pelicula » dixit son auteur-réalisateur, ce disque-concept réalisé entre Paris et Buenos Aires, le Nord et le Sud, est un voyage transatlantique, avec des escales répétées à Palerme (Hollywood, Queens, Soho) en leitmotiv. Admiratif de la musique latine, Benjamin Biolay en a souvent irrigué son répertoire depuis ses débuts. De la salsa La Monotonie à la cumbia Tu es mon amour. Le natif de Villefranche-sur-Saône, qui prend régulièrement ses quartiers dans la cité argentine, fonctionne par cycle. Après Trenet en 2015, Argentina en 2016.
Loin de toute démarche folklorique, proche d’une construction empirique, Benjamin Biolay s’est immergé dans la capitale argentine pour enregistrer, hors d’Europe, le premier album de sa riche carrière entamée avec Rose Kennedy (2001 ), autre disque-concept. Entouré de musiciens latin-grammysés – dont Martin Ferres (Bajofondo, Mercedes Sousa) au bandonéon, Damian Verdun au charango, Fernando Samalea (Charly Garcia, Gustavo Cerati, Calle 13) à la batterie et l’orchestre des musiciens du Teatro Colon de Buenos Aires, parmi les noms qui défilent au générique pléthorique de Palermo Hollywood -, Benjamin parvient à faire le grand pont entre Ennio Morricone et la Calle 13. Ou comment croiser la vision panoramique d’une Argentine fantasmée (Palermo Soho) et la réalité urbaine du rock nacional (Pas d’ici).
Comme dans La Superbe, ce nouvel album, mixé par Julien Delfaud (Phoenix, Herman Dune, Woodkid), s’ouvre et se referme donc par une chanson générique. Entre le travelling dans les rues de Palermo Hollywood et la Ballade française conclusive – deux titres illuminés par la soprano Valérie Gabail -, se bouscule une foultitude de joyeusetés, de surprises et de classiques dont Benjamin Biolay a coutume et définitivement le secret. À quarante ans passés, le chanteur déploie toute sa science mélodique et harmonique en se frottant à la musique sud-américaine. De Miss Miss – single instantané croisant bandonéon, Vampire Weekend et programmations de Clément « Animalsons » Dumoulin (Booba, La Mala Rodriguez) – à Palermo Spleen – ballade ombrageuse bouleversée par le ténor Duilio Smirglia (le soliste du Teatro Colon) -, de Borges Futbol Club – une valse sur fond d’un sample de Victor Hugo Morales, la voix du « but du siècle » – à La Noche Ya No Existe – néo-cumbia en duo avec Alika, l’une des stars du reggae dancehall – , de La Débandade – madeleine bossa à écouter ad libitum – à Pas sommeil – chanson-fleuve d’un « cœur endolori », Benjamin Biolay multiplie les dribbles et les passes aveugles, les talonnades et les tirs en pleine lucarne.
Ailleurs, sur Ressources humaines, il s’amuse avec Chiara Mastroianni et Melvil Poupaud sur un exercice de style franco-italien que ne renierait Adriano Celentano. Toute la force de du dixième album de Benjamin Biolay tient autant dans sa variété lexicale que dans sa générosité instrumentale, intégrant subtilement sous le Tropique du Capricorne (son signe ancestral) des influences sud-américaines à son passeport d’auteur-compositeur français, à la manière des tangos chaloupés de Palermo Queens et Palermo Soho et duettisés avec l’Argentine Sophia Wilhelmi.
« La musique est question de temps et parfois de saisons », aime à répéter Thierry Planelle, son directeur artistique de toujours. Palermo Hollywood sera la bande-son ensoleillée d’un nouveau printemps.