
Reportages à la Voix du Rock (Tourcoing) et à la Fête de la Musique 2014 (Bruxelles)
Deux concerts de La Femme à une semaine d’intervalle dans la région Nord et Belgique, en plus gratuits, méritaient toute attention durant, et forgent l’admiration.
La Femme pour le novice est un individu de sexe féminin, mais aussi la révélation des victoires de la musique en France cette année, avec son conséquent album de pop électro atypique « psycho tropical Berlin » sorti en avril 2013. Encensé par toute la profession ou les mélomanes avertis, la Femme séduit toujours, un an après le buzz, avec son recyclage inédit de la fusion du punk, cold wave, yéyés, pop, psyché, ou même variété. La Femme est ce qu’il est arrivé de mieux dans l’hexagone musical depuis fort longtemps. Être le seul groupe français à tourner dans le monde de façon continue et « routarde » ( le groupe dort souvent chez l’habitat à l’étranger) depuis ses débuts n’a rien de superficiel. Formé à la fin des années 2000 à Biarritz par les deux surfeurs camarades de lycée : Marlon Magnée (composition, clavier, chanteur, leader malgré lui) et Sacha Got (compositions, guitare, thérémine, choeur), « LA FEMME » a finalement trouvé son nom et inspiration à Paris en 2010 avec l’arrivée du bassiste Sam Lefevre et batteur métronomique Noé Delmas.
Ce n’est qu’après avoir mis une annonce sur internet que la Bretonne Clémence Quelennec sera choisie pour incarner la voix et l’image féminine sur scène. Ce choix instinctif sera un atout majeur, Clémence possédant un charisme inné. Joli minois autoritaire sur fragilité physique, voix juvénile envoûtante, danseuse « kitsch » et robotique, partagée entre froideur et sensualité au multi- look rétro des années 1940, Clémence fascine. Une sixième touche plus rebelle fera son entrée durant les premiers concerts avec l’arrivée du mystérieux « Nunez », l’extraverti au look instable (punk, rockabilly, travesti, performeur) attelé aux percussions et synthé. La Femme a 22 ans à peine (moyenne d’âge du combo) et habillée d’une belle personnalité attachante, s’est trouvée parée pour l’aventure sonique à la conquête du public.
Tourcoing le 14 juin 2014
20h30 : près de 20 000 personnes se sont entassées sur la grande place comme pour se réchauffer tous ensemble du courant d’air frais ambiant (11°C ressentis), mais pas que. Quasiment un an après le passage coup de foudre de La Femme au Main Square Festival, le second rendez-vous dans la région est fortement attendu, désiré par un public majoritairement jeune. La Voix du Rock fête sa cinquième édition et a visé haut avec la venue de La Femme. Force est de reconnaître que le point culminant de l’ambiance spontanément énergique du festival est atteint avec eux. Alors que Noé, arboré d’une nouvelle coupe punk, gère les derniers réglages, une poignée d’intermittents du spectacle monte sur scène pour revendiquer leur indignation face au projet de loi du gouvernement qui sous-estime le métier. Une femme prendra le micro quelques minutes sous une ovation respectueuse, pendant que le groupe s’installe.
La veille sur la page officielle du groupe, un intermittent les sollicitait pour les soutenir ce soir. L’appel semble avoir était entendu et surtout compris à voir Marlon tenir son djembé en l’air comme un révolutionnaire pacifiste, rappelant qu’il faut être fier de notre culture. L’intervention est idéale pour chauffer à blanc les premières notes de « Amour dans le motu » qui entame le set progressivement, puissamment sur la montée des BPM. Le son est excellent, chapeau bas aux organisateurs et intermittents, justement, de la Voix du Rock ! Clémence est postée au centre derrière son clavier, pantalon à pinces, t-shirt du logo punk de la main noire de la femme (en symbiose avec celle sur la batterie), maquillée sur un teint pâle, les cheveux attachés, foudroie l’audimat. Autant elle ressemble à l’actrice des années 40 Judy Garland (souvent évoquée), autant elle me rappelle Shirley Manson du groupe Garbage période 95/98 en version 2.0 immobile.
Marlon à sa gauche est tout aussi centré, concentré. Son nouveau look, très zen avec son kimono, laisse penser que ses voyages l’on ouvert spirituellement. Les cheveux poussés, décolorés, et bouclés lui donnent un air mi-ange mi-démon à la Martin L Gore (Depeche Mode) des années 80. Sacha plus discret habillé, qu’en slip seulement (les soirs de beau temps), se maintient sobrement derrière ses lunettes, à la guitare, machine ou thérémine. Tel un Noel Gallager de la grande époque Oasis, qui aurait fantasmé sur le Jacques Dutronc des sixties et Man Machine des Kraftwerk, il façonne une attitude froidement classe. Nunez lui ce soir est là pour jouer, pas pour se la jouer et n’arrête jamais de manipuler ses doigts sur des notes de clavier, boucles de machine, tomes acoustiques ou électroniques, sans même jamais regarder la foule. Les six membres se complètent à la perfection dans une alchimie sonore et visuelle sans artifice.
Il est incroyable de constater la montée de popularité, mais aussi d’assurance du groupe, un an après le Main Square. Tout juste de retour d’une cinquantaine de dates américaines, le groupe est loin du rodage. Au prochain album, à ce train-là, c’est le Zénith Arena qu’ils rempliront seuls. « Packshot » arrive à point, résonnant de tout son antistress avec son effet écho bénéfique. Les tubes s’enchaînent sous les applaudissements et mouvements saccadés du public. « Si un jour » sautillant et tolérant, « La femme » morceau accouplé à « Hypsoline » sous tension ( un des titres les plus forts avec son clavecin inquiétant à la trame Gainsbourgienne psychédélique d’anthologie), le poignant titre « Françoise » rebondissant dans un électro punk sur Paris 2012, fait monter d’un cran la pression sur Tourcoing ! « It’s time to wake up 2023 » où vous allez mourir, procure toujours ce frisson dans le dos et interrogation ; « Sur la planche » version courte et sans séance de surfin déçoit un peu, comme si de l’avoir vendue à la pub Renault, l’aurait dénaturé de sa pertinence. Mais heureusement « Nouvelle vague » scandée en introduction de « Télégraphe » rattrape le coup enchaînant sur un « Nous étions deux » fédérateur. Pour clôturer sur une trilogie hystérique, jubilatoire, avec « La cabane perchée », « Anti taxi » et « Welcome America » qui provoquent, titillent le public. Sacha propose même de faire une file qui se créée instantanément dans le pogo déjà en place. Le public est déchaîné à l’instar du groupe qui se lâche, Marlon et Clémence principalement, dans une prestation communicative. 60 min chrono de show/chaud sans temps mort. C’est bon, mais pas assez, surtout quand on a vécu les 1h50 du spectacle interactif (La Femme accompagné du collectif House of Drama) au Trianon de Paris en novembre dernier.
Néanmoins, les musiciens de La Femme prouvent qu’ils sont aussi un maillon fort incontournable pour les festivals. Un groupe qui ne fait pas semblant d’être original et efficace. Un groupe qui compte aujourd’hui dans la cour des aînés, qui ouvre l’appétit au sens large, et qui contente l’attente. « J’ai joui ! » : un tweet lancé par une nymphette en est évocateur. Au plaisir La Femme : on se revoit la semaine prochaine, vivement !
Bruxelles le 22 juin 2014
16 h : La Femme s’apprête à refaire son entrée sous un soleil de plomb ; je précise refaire son entrée, car durant près de 45 min nous avons eu le droit à une balance. Une balance qui conforte l’idée que le groupe joue absolument tout en direct, dans une ambiance complice où des modulations imprévisibles sont possibles. Tout l’inverse des groupes 80’s électro pop français Taxi Girl ou Elie et Jacno auxquels les médias comparent l’influence. La liste des morceaux qui suivra prouvera cette qualité. Dans ce cadre magnifique de nature et matière citadine (monuments) qu’est le parc du cinquantenaire, quelques milliers de personnes (à vue d’œil au moins 5000 ou 6000) se sont déplacés en ce dimanche insolite. Dimanche épris de la coupe du monde de football, la Belgique jouant contre la Russie à 18h. Des familles branchées avec enfants, jeunes femmes, mélomanes ou curieux blasés du foot forment le public bruxellois ayant rendez-vous avec la Femme. De toute évidence, il s’agit de la Belgique francophone, n’ayant aucunement entendu parler flamand.
J’ai par ailleurs lu sur des forums belges des plaintes contre le choix d’artistes français, jugé trop nombreux cette année. La Femme est pourtant universelle. Marlon porte même un fez (chapeau arabe) sur la tête, et n’hésite pas à descendre jovial à souhait, nous saluer et discuter avec reconnaissance. La Femme si jeune, réalise l’exploit avec un seul album, qui plus est non diffusé sur les radios ou chaînes télévisées « à la mode », d’attirer un public aussi intergénérationnel qu’ Indochine en 33 ans de carrière. Public à fortiori plus underground, mais au moins aussi ouvert que celui « touche à tout » de Gainsbourg jadis. Le pouvoir de la musique réside sans barrière. C’est donc après une petite session d’amusement entre une monstrueuse marionnette géante, plus Sam et Nunez, que le groupe entame à nouveau et sans surprise son set avec le stimulant « L’amour dans le motu ». Le son est moins fort qu’à Tourcoing, mais au son plaisant. C’est dimanche, le public est plus fluide, relax, tout comme la femme au look très décontracté. « Hypsoline » est remplacé par une chanson inédite jouée pour la première fois. Chanté intensivement par Clémence, le titre évolue lentement sur une plage mélancolique , nappe sombre, où je me souviens vaguement d’un refrain « Vivre pour ne pas vivre », avant de s’achever de façon épique. Le titre figurera sur le prochain album (comme trois autres joués depuis un an, inclus le très sulfureux « Marie tu respires le sexe ») qui n’attend qu’à être enregistré !
Le groupe accepte toutes les propositions de concerts (confiera Sacha en coulisse) et enchaîne sans cesse. Respect pour cela. Les tubes de « Psycho tropical Berlin » défilent dans une ambiance bon enfant, chaleureuse dans tous les sens du terme (le soleil tape et le voisinage est très souriant, dansant et pas obnubilé par des smartphones). « Sur la planche » de nouveau amputée de la performance est le seul point négatif, la goutte d’eau dans l’océan, car l’atmosphère générale a bon karma. La prestation évolue grandement musicalement. Marlon et Clémence à fond sur les claviers, Nunez et Noé dans les percussions, Sacha au thérémine, Sam tantôt à la basse, tantôt aux machines : le combo livre des versions magistrales de leur déjà classique album. Le vivre du premier rang, en pleine lumière naturelle, est juste un moment privilégié de pur bonheur. Toutes les fins de versions terminent sur une montée psychédélique, ou Kraftwerkienne, incluses dans la performance parfois agitée, parfois figée des membres concentrés au maximum. « La Femme ressort » conclura le concert, en remplacement de « Welcome América » dans une version hypnotique incroyable (de dernière minute visiblement, à voir Marlon et Sacha se concerter). Le temps s’est arrêté, je ne sais plus où je suis, tel dans un épisode fantasmagorique de la quatrième dimension (celle de Rod Sterling). « La Femme ressort » à rallonge s’il vous plait se transforme en Western spirit sound avec son piano cabaret fou. Nunez simule même les coups de pistolets avec ses baguettes à percussion, qui mettent K.O. Sam, se jetant à terre. Les percussions jouées à deux sur le même tempo accentuent l’effet des machines plus électro moins rétro ici.
La fusion et montée de ceux-ci amènent le final en apothéose, qui met tout le monde sur la même longueur d’onde après 1h10 intense. La Femme est forte, avec un sens de l’humour, authentique et plus que jamais unique : la métaphore au sexe féminin est logique tant la création du groupe est complète. C’est bien connu, la femme sait et peut faire plusieurs choses en même temps. Ce ne sont pas les performances de la scène, les compositions, les clips démentiels, les multilooks stylés, visuels des pochettes psychés, et l’image passionnée engendrée par le groupe qui contrediront ce fait.
Espoir ni vain, ni futile, Sacha me rassurera d’un « on est pas prêt de s’arrêter ! » Vivement maintenant !
JOSSE JUILIEN
Découvrez quelques clichés de Josse lors de ces concerts.
Découvrez la galerie d’Eric Vallet lors de la Voix du Rock 2014.