« Très chaud » tel est le tweet laissé par le chanteur Tom Smith des Editors, est symptomatique de l’entrée dans la salle du Splendid ce jeudi 29 octobre 2015 vers 19h.
« Très chaud » pour l’amateur de musique cold wave aurait aussi un sens figuré caché (l’ironie), car pour se procurer ce soir-là une place, il aurait fallu une machine à remonter le temps. Le concert des Editors étant complet depuis juin dernier.
EDITORS en sept lettres attachées sonnent fort, cinq musiciens brillants, cinq albums d’anthologie, dix ans de carrière, des centaines de concerts, des millions d’albums vendus, s’écrivent pour la première fois à Lille ! Néanmoins, les lillois réputés pour leur véhémence mélomane, n’ont pas anticipé, ni mesuré le concert de légende qui s’offrait à eux. En mode mineur face à l’armée de fans belge ayant fait le déplacement jusqu’aux premiers rangs qui tiennent assidûment, le Splendid à des accents du Vooruit à Gand. « In Dream », le nouvel album visionnaire est numéro un des ventes de l’autre côté de la frontière, et voir le groupe numéro un dans une petite salle française est un événement.
Avec les Écossais de The Twilight Sad qui accompagne Editors sur cette tournée, on est gâté d’un son et performance idéale en ouverture.
Le son post-punk mélodique à connotation industrielle, emmené par son leader James Gaham, déchaîné, mais appliqué vocalement dans des jeux de lumière soignés, a tout d’une tête d’affiche. Aucun temps mort, ni ennui, ni même impatience, ne viennent perturber l’acte. La première partie est passée comme une lettre à la poste. La bande-son intermédiaire, au volume des basses élevées, procure une excitation vive. Y entendre « People On The High Line » du dernier New Order enchaîné à la jeune garde, répond à la singularité influente de New Order sur le groupe mais aussi ambiante, évoqué officiellement sur leur site.
21h : les lumières s’éteignent enfin et l’ovation pour l’entrée en scène du groupe fait plaisir à vivre. Avec « No harm » qui ouvre aussi le dernier album « In dreams », les Editors démontrent une nouvelle facette aérienne, grave et synthétique. Emmenée par la voix tantôt ténébreuse, tantôt lumineuse de son chanteur, le public est directement happé par la prestation. Le second titre « Sugar », extrait du précédent album, ferait presque office de seconde introduction avec sa puissante batterie, trame rock sur les ooh ooh entonné comme un cri du cœur.
« Life is a fear », le dernier single synthé pop façon années 1980 (à la David Bowie pour le chant), résonne déjà comme un tube ancestral. Sur « Blood » du premier opus The Back Room de 2005, c’est le retour à la noirceur avec de la mise en rythme et de la guitare empruntée à Joy Division. La new wave épique perdure avec le superbe « An end has a start », fédérateur, énergique.
Tom Smith en plus d’être un formidable chanteur et aussi un généreux showman totalement en symbiose avec son groupe opérationnel et son public passionnel.
Sur « Forgiveness » place à la touche sensuelle, mélodique et sentimentale, faisant finalement la part belle au concert. Avec « All Sparks » la performance de Ed Lay aux roulements de batterie prend le dessus. Quel privilège de voir jouer un si bon et grand groupe dans une petite salle sachant rendre la puissance des stades. La configuration scénique des cinq membres, dans l’absolu, forme un seul homme. Eat Raw Meat = Blood Rool prend le virage électro atypique de l’incroyable album In This Light On This Evening. Le titre est profond, les arrangements aux sonorités obsessionnelles, savoureux.
Les premières notes de piano du classique « The racing rats »déclenchent les frissons.
La new wave se fusionne à la pop idylliquement, comme sur le plus récent « Formaldeyede ». Avec « Salvation » le ton est nettement plus dur et émotif, dans ses nappes synthétiques et rideaux de lumières. Le refrain sous le battement martial est juste dantesque. « Bullets » suit avec une énergie rebelle, post-punk. « A ton of Love » déclenche une petite hystérie dans la foule. La chanson et son refrain rock FM sexy évoquent clairement U2 sur « Desire » (1988). Pompeux en studio mais terriblement efficace sur scène. Les musiciens quittent la scène, pour laisser place à Tom Smith seul à la guitare acoustique sur « Smokers ». Un petit rituel qui se fait à chaque tournée, plus souvent au piano, permettant de libérer le charisme vocal du Singing Man (en référence à sa collaboration avec Magnus, lire article), à qui l’on prédit une longue et belle carrière.
À l’issue le groupe revient sur un son synthétique inquiétant avec « Bricks and Mortar », joué par le nouveau claviériste, Elliot Williams, de façon Kubrickienne.
L’effet modulé de la mélodie sonne vraiment comme dans Orange Mécanique. Les sonorités du morceau évoluent vers de l’électro rock industriel, plus encore que dans la version originale. Le cinématographique « All the kings », grandiloquent, s’enchaîne brillamment. Tom Smith se fait crooner populaire sur « Nothing » à la manière d’un Bryan Ferry avec Roxy Music. Retour à la base cold wave avec « Munich » et public sautillant avant le rappel.
C’est sous forme d’apothéose qu’il commencera avec « Ocean of night », le prochain single à la divine mélodie au piano, enjoué et beau à la fois, que pourrait envier Coldplay. Tom Smith se fait glamour et sensuel. L’explosif tube électro pop « Papillon » illumine la salle d’un halo de bonheur dans sa version longue que l’on souhaiterait infinie. Le spectacle s’achèvera en beauté sur l’envoûtant « Marching Orders » du dernier cru, mettant en avant chaque musicien. Le quintette conquis saluera réciproquement la foule, sous les « merci Lille », déjà récurrents, de Tom Smith. Prochaine étape, les 20000 places du Palais 12 à Bruxelles !
« Last night was hot » qu’a laissé le lendemain Tom Smith sur son compte Twitter est à l’échelle de ces remerciements chaleureux, du spectacle complet, de l’émotion partagée, mais aussi de la rencontre offerte après le concert pour la vingtaine de fans patients. Le groupe a adoré Lille et a annoncé qu’il reviendra en 2016. Un conseil, ne passez pas votre tour ce coup-ci. L’effet papillon est irréversible.
Josse Juilien